* Excellent résumé de la situation géopolitique actuelle.
L’armée turque a lancé à la fin du mois d’août l’opération «Bouclier de l’Euphrate », avec avions de combat et forces spéciales. Selon les rapports des agences de presse, l’armée turque et les forces de la soi-disant «coalition internationale» menée par les USA (dont la participation directe n’a jusqu’ici pas été confirmée) a mené une offensive contre l’État islamique qui contrôle la ville syrienne de Jarabulus, près de la frontière turque.
Alors que des dizaines de chars et autres véhicules blindés d’Ankara, ainsi qu’un nombre indéterminé de forces spéciales militaires ont traversé la frontière syrienne, environ 1500 rebelles syriens conduits par Ankara se préparent à participer à l’offensive pour conquérir Jarabulus. Les avions et les hélicoptères de combat turcs ont déjà mené quelques dizaines de bombardements en Syrie sur des cibles de Daesh, faisant suite au bombardement ces derniers jours des positions des Kurdes du YPG, qui viennent de libérer Mambij de l’Etat islamique.
Le régime turc lui-même a informé que l’opération est destinée à empêcher les milices kurdes de conquérir Jarabulus et à « ouvrir un corridor pour les rebelles modérés », c’est-à-dire pour certaines formations djihadistes et salafistes qui pour l’instant suivent les ordres et les intérêts de la Turquie.
«Trop c’est trop », a déclaré Erdogan dans un discours diffusé en direct à la télévision, « tout peuple a le droit de se défendre, et nous ne nous soucions pas de ce qu’ils disent de la Turquie».
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré que l’offensive a pour but de frapper les djihadistes de l’État islamique en mettant un terme aux attaques continues contre les villages de la frontière, mais aussi (et surtout) les milices du Parti de l’Union démocratique (PYD), la force dominante dans la guérilla kurde syrienne.
Depuis des années le régime turc prépare l’invasion de la Syrie, soutenu et renforcé par les jihadistes, qui ont ensuite commencé à répandre le sang et la terreur à Istanbul et dans d’autres villes du pays et contre lesquels Erdogan affirme désormais vouloir se battre. Le «Sultan» a longtemps demandé à Washington et à Bruxelles, leur consentement pour l’envoi de ses troupes dans le nord de la Syrie; consentement refusé à plusieurs reprises mais qui semble maintenant acquis, bien que l’hypothèse la plus crédible laisse penser qu’Ankara ait en réalité mis Washington devant le fait accompli. Après le coup d’état maladroit et avorté du 15 juillet, dans lequel la patte américaine est désormais claire et qui a offert au régime turc l’opportunité de se renforcer, le gouvernement américain semble désormais dans les conditions pour laisser Ankara envoyer ses troupes dans la bande nord de la Syrie.
Dans son effort pour se maintenir à flot dans un Moyen-Orient où les concurrents se multiplient et où les pions traditionnels n’obéissent plus aux ordres, Washington cherche à remédier aux faux pas du putsch de juillet – qui paradoxalement a rapproché Ankara de Moscou, ce que les Etats-Unis voulait à tout prix empêcher- en donnant le feu vert à l’armée militaire turque, en échange de l’engagement d’Erdogan contre Daesh. Le raisonnement d’Obama et son équipe semblerait être le suivant : puisque nous ne sommes plus en mesure de le supprimer, il est dès lors préférable de céder à certaines des revendications d’Erdogan plutôt que de perdre définitivement la Turquie, bastion militaire de l’OTAN au Moyen-Orient. Le message du régime turc envoyé à travers l’océan – au siège de la base de Incirlik, où opèrent un milliers de soldats états-unien – semble avoir été bien reçu par les responsables politiques et militaires américains.
L’offensive a commencé le jour même de l’arrivée du vice-président américain Joe Bidden, arrivé ce matin à Ankara pour sa première visite en Turquie depuis le coup d’Etat manqué du 15 juillet. A l’ordre du jour de cette visite figure également la demande d’extradition de Fethullah Gulen, magnat et imam réfugié en Pennsylvanie, qu’Ankara accuse d’être à l’origine de la tentative de coup d’Etat (avec la complicité de la Maison Blanche).
Mais le feu vert de Washington à l’opération « Bouclier de l’Euphrate » ouvre d’autres contradictions dans la politique étrangère chancelante et maladroite des Etats-Unis dans la région, le but d’Erdogan étant de desserrer l’emprise des djihadistes sur ses frontières – pour essayer de conquérir une partie de sa population, à juste titre effrayée par l’enracinement de Daesh en Turquie et par les attaques djihadistes de plus en plus sanglantes – mais surtout afin d’asséner un dur coup à la guérilla kurde qui, jusqu’à présent soutenue et protégée par les Etats-Unis, a libéré un certain nombre de territoires de l’emprise de Daesh, précisément dans une région stratégique qui intéresse à Ankara.
Bref, pour essayer de rétablir ses relations avec Erdogan – supposant qu’il ne soit pas trop tard pour récupérer un satrape qu’elle n’a pas été en mesure de remplacer – Washington donne carte blanche à la confrontation militaire turque contre ses «troupes au sol» en Syrie, la guérilla kurde des YPG. Celle-ci, après avoir pris la place des «milices modérées» qui se sont incorporées ou alliées à Daesh et al-Qaïda après avoir reçu des armes et de l’argent de l’Occident, pourrait maintenant être abandonnée par Obama. Il faudra voir ce que fera la Russie, jusqu’ici soutien des Kurdes syriens contre les djihadistes et les menaces turques mais qui, au sein d’un processus de rapprochement avec Ankara, pourrait réduire la taille de son soutien au YPG.
Dans un contexte de changements d’alliances et à géométrie variable, la Turquie est confirmée, au moins pour l’instant, comme le pion le plus convoité par les Etats-Unis et la Russie, dans un jeu dangereux qui pourrait complètement exploser l’ensemble du Moyen-Orient.
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