La réunion censée convaincre Téhéran de renoncer à la bombe n'a pas donné de résultats. Mais pouvait-il en être autrement ?
Ce devait être la réunion de la dernière chance pour éviter une guerre avec l'Iran. Après plus d'un an de rupture, la grande rencontre d'Istanbul entre les grandes puissances et l'Iran, censée convaincre Téhéran de renoncer à ses ambitions nucléaires, a accouché d'une souris. Ou presque. Au terme de quatre heures de rencontre, les deux parties sont convenues de se retrouver de nouveau... pour un second round de discussions, le 23 mai prochain à Bagdad. Pourtant, à l'issue des pourparlers, les différents protagonistes ne cachaient pas leur satisfaction. La Maison-Blanche a qualifié la rencontre de "première étape positive", un sentiment partagé par Saïd Jalili, le négociateur en chef sur le nucléaire iranien.
"Il serait plus convenable de dire que la réunion n'a pas été négative", explique un diplomate occidental ayant participé à la rencontre. Dès son arrivée, la délégation iranienne a annoncé la couleur en installant derrière elle une énorme banderole annonçant : "Armes atomiques pour personne : énergie nucléaire pour tous." En dépit de l'atmosphère jugée "glaciale", les Iraniens ont surpris en renonçant à toute condition préalable, à savoir le refus de suspendre l'enrichissement d'uranium, pour ouvrir les négociations. Ils se sont ainsi contentés de réaffirmer leur droit à l'énergie nucléaire civile.
Fatwa sur la bombe
Pour prouver sa sincérité, Saïd Jalili s'est référé à la fatwa (le décret religieux, NDLR) du Guide suprême iranien, l'ayatollah Khamenei, qui s'est prononcé pour l'interdiction des armes atomiques, qu'il juge "impures". D'après l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), l'Iran possédait en février dernier, dans ses sites de Natanz et de Fordo, un stock de 5 400 kilos d'uranium faiblement enrichi à 3,5 %, ainsi qu'un stock de 109 kilos d'uranium hautement enrichi à 20 %. Cette production est autorisée par le Traité de non-prolifération (TNP) nucléaire, dont Téhéran est signataire - à l'inverse d'Israël, de l'Inde et du Pakistan. Mais la communauté internationale s'inquiète du fait que l'usine de Fordo, dont l'existence a été révélée in extremis par l'Iran en 2009, se trouve enfouie dans une montagne, et donc à l'abri d'éventuelles frappes israéliennes.
Pourtant, les agences américaines du renseignement sont formelles. Si l'Iran continue l'enrichissement d'uranium, aucune preuve significative n'indique qu'il cherche la bombe [même scénario que l'Irak]. D'ailleurs, ce constat a été confirmé par le dernier rapport de 16 agences du renseignement américain, divulgué en 2011 auprès des décideurs du pays et qui n'a pas été réfuté par les services secrets israéliens. "Néanmoins, explique le chercheur François Géré (1), la République islamique pourrait à tout moment prendre la décision d'enrichir à 90 %, seuil autorisant une utilisation militaire de l'uranium."
Menaces de frappes israéliennes
La suspicion autour du programme nucléaire iranien est d'autant plus forte que des éléments déjà connus font état de recherches visant à coupler une capacité militaire à des capacités balistiques. Dans son dernier rapport de février 2012, l'AIEA a évoqué des "divergences majeures" avec l'Iran concernant la clarification de son programme nucléaire, réaffirmant en outre ses "sérieuses inquiétudes" quant à la dimension militaire de son programme nucléaire. "Un canal a été ouvert à Istanbul", résume le diplomate occidental. "Nous verrons ce que nous mettrons dedans le 23 mai prochain à Bagdad, lorsque nous rentrerons dans le vif du sujet."
Pour Trita Parsi (2), spécialiste de la politique étrangère de l'Iran, il est indéniable que des progrès ont été enregistrés à Istanbul, précisément en raison des concessions mutuelles consenties par les différentes parties. "Il sera important, dit-il, lors des prochaines discussions, d'aller au-delà de la question nucléaire." Les dirigeants iraniens ont répété ces derniers mois leur souhait de discuter du rôle de l'Iran dans les questions de sécurité régionale, tandis que les ONG n'ont cessé de réclamer que la désastreuse situation des droits humains en République islamique figure au menu des négociations. Mais pas sûr qu'Israël soit aussi patient.
Dimanche, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a simplement estimé que l'Iran avait décroché une prime. "Il a obtenu cinq semaines durant lesquelles il pourra poursuivre sans la moindre limitation et sans le moindre scrupule son programme d'enrichissement." "L'horizon de frappes israéliennes n'a pas reculé", confirme le diplomate occidental.
(1) François Géré, directeur de l'Institut français d'analyse stratégique (Ifas), auteur de Iran : l'état de crise (Éditions Karthala)
(2) Trita Parsi, président du National Iranian American Council et auteur de A Single Roll of the Dice - Obama's Diplomacy with Iran (Yale University Press, 2012)
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